Donner un nom aux morts

Initiative conjointe de la police et du SPF Intérieur, la campagne #respectmutuel est le fil rouge de notre calendrier 2022. Dans ce cadre, nous nous intéressons en octobre au team DVI de la Police Judiciaire Fédérale. Le respect est au cœur de toutes ses missions : l'identification des corps, les contacts avec la famille et les proches, ainsi que la collaboration avec ses partenaires, sans qui il ne pourrait accomplir son travail.

Donner un nom aux morts

Une équipe professionnelle

En règle générale, l'intervention des experts forensiques du DVI (Disaster Victim Identification) ne fait l'objet d'une certaine couverture médiatique que lors de catastrophes majeures, comme les inondations dévastatrices qui ont frappé le sud de notre pays l'année passée. L'une des missions auxquelles le DVI a été formé est d'identifier les victimes difficilement identifiables. Le team se compose d'un noyau fixe de six personnes, épaulées par un pool de 110 collègues disposant de l'expertise nécessaire au sein de la Police Fédérale. L'une de ces six personnes est le premier inspecteur principal Stijn Bloemen, qui a rejoint l'équipe en janvier 2019. Sa spécialité est la necrosearch, la localisation et la recherche de corps cachés ou enterrés.

"2021 a été une année intense", explique le premier inspecteur principal. "Les inondations en juillet, un effondrement dans une école à Anvers, une explosion de gaz à Turnhout le jour du réveillon du Nouvel An. En dehors des catastrophes, nous accomplissons quotidiennement des missions d'appui à la demande de la magistrature, de nos partenaires externes et internes, comme la cellule Personnes disparues. Cette dernière fait parfois appel à nous lors d'actions 'canal', lorsqu'il peut être nécessaire d'extraire des épaves de voitures de l'eau et de résoudre d'éventuels cold cases.

Respect des proches

Pour identifier un corps dans une optique forensique, le DVI procède à un examen de la dépouille (post mortem) et récolte des données auprès de la famille, du médecin traitant ou du dentiste (ante mortem) afin par exemple de recueillir du matériel ADN, des empreintes digitales ou des informations sur le dentier de la victime. "Avec l'aide d'un assistant aux victimes, nous rendons visite à la famille ou aux proches afin de rassembler autant d'informations que possible", poursuit Stijn Bloemen. "Nous cherchons à savoir si la victime avait des tatouages, des piercings, des grains de beauté, des cicatrices, une prothèse..., ou encore si elle était circoncise. Pour les proches, cette confrontation est douloureuse : ils se rendent très bien compte que la probabilité est très élevée que leur conjoint, fils, etc. soit décédé. Avec beaucoup d'empathie, nous leur expliquons clairement la raison de notre présence. Nous sommes parfaitement conscients de l'impact de nos questions, mais nous devons les poser. C'est important de prendre le temps nécessaire. L'assistant aux victimes est là pour les soutenir. (NDLR  Stijn a également été assistant aux victimes par le passé.) Nous faisons un usage respectueux et scrupuleux de ces données, et nous sommes bien entendu soumis au secret professionnel. À titre d'exemple, je ne peux mentionner que ce qui est strictement nécessaire dans le procès-verbal ; et je dois préciser que nous pouvons divulguer les détails en cas de nécessité.

Respect du corps

Il n'est pas donné à tout le monde de manipuler des personnes décédées ou des restes humains. "Ce n'est pas un travail agréable", explique Stijn. "Le DVI sait et tient compte du fait que les collègues de la GPI ne trépignent pas toujours d'impatience à l'idée d'être en contact avec des personnes décédées ou des parties de corps, par exemple après un incendie ou un suicide sur des voies ferrées. Nous pouvons leur apporter notre expertise et les décharger de certaines tâches, car nous avons été formés pour cela et sommes donc plus aptes. L'âge moyen des membres de notre équipe est d'au moins 40 ans, et nous avions déjà été confrontés à des décès avant de travailler pour le DVI. Certains jours, c'est plus difficile que d'autres, par exemple à cause de l'état du corps. Nous sommes suivis par le Stressteam de la Police Fédérale. Ils veulent nous rencontrer chaque année pour un entretien ou organisent des débriefings psychologiques après les incidents de grande ampleur. Mais rien de tel que de clore une journée difficile en discutant avec les collègues autour d'un verre ou d'une glace.

Respect de nos partenaires

Les enquêteurs du DVI peuvent être accompagnés notamment de collègues de la police technique et scientifique, de médecins légistes, d'experts dentistes, d'anthropologues, de démineurs, etc. "Nous ne disposons pas de toute l'expertise nécessaire en interne, et cela n'est d'ailleurs pas nécessaire", poursuit Stijn. "Le monde académique et le secteur privé comptent de nombreux partenaires pouvant mettre en œuvre d'autres moyens et équipements ; nous devons étudier ces possibilités pour développer notre réseau et innover."

Toutes ces collaborations n'ont qu'un seul but : donner un nom aux corps. "Et cela n'est possible que si nous travaillons méthodiquement", explique le premier inspecteur principal. "La mission de nos collègues du service incendie est d'éteindre l'incendie et de sauver des vies. Ils ne pensent pas automatiquement à nous et ne vérifient par exemple pas toujours si toutes les parties d'un corps ont été retirées de l'incendie. Imaginez que la famille veuille visiter le lieu de l'accident et soit alors confrontée à des restes humains... Ils font bien sûr ce qu'ils peuvent avec les meilleures intentions, mais cela complique parfois l'identification des corps. D'expérience, nous savons également qu'après un incendie, nous devons rechercher des restes de documents de bord, une carte d'identité, une alliance... Au plus vite nous pouvons terminer l'identification, au plus vite les proches de la victime ont une réponse."

Respect de la dignité humaine

Nous revenons avec Stijn sur les inondations de l'année passée. "Nous avons collaboré avec nos collègues de la protection civile – et j'en profite d'ailleurs pour mettre en avant leur professionnalisme et leur motivation – et nous étions donc avec eux dans leur caserne, assez près les uns des autres. Pendant que nous essayions d'identifier les corps, des parents de victimes sont arrivés pour leur rendre un dernier hommage. Nous avons alors fait en sorte de cacher notre travail, pour que ces gens n'y soient pas confrontés. Nous sommes allés chercher des fleurs chez l'entrepreneur des pompes funèbres local, qui est venu préparer les corps gratuitement, par respect pour les familles et les proches. Et nous avons tenu à l'écart toutes les personnes qui n'avaient rien à voir avec l'enquête. Il faut toujours tenir les curieux à distance : certains seraient prêts à tout pour prendre une photo ! Ce sont des éléments dont le DVI doit également toujours tenir compte."